FRIBOURG NETWORK FREIBURG
JACQUES BOSCHUNG
«TOUTES LES CONDITIONS SONT RÉUNIES»
Il a vécu de l’intérieur la plus grande fusion-acquisition jamais réalisée dans le secteur des hautes technologies. Le Fribourgeois Jacques Boschung est désormais responsable pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique du domaine des alliances globales et des télécoms de Dell Technologies. Issue du rachat du spécialiste du stockage de données EMC par le géant informatique Dell, pour un montant de 67 milliards de dollars, cette nouvelle entité totalise 150'000 collaborateurs à travers le monde. Avec 74 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, elle devient le numéro deux mondial du numérique, juste derrière IBM (80 milliards), mais devant Hewlett Packard (51 milliards), Cisco Systems (49 milliards) ou encore Lenovo (42 milliards). Entretien.
A l’heure de la transformation numérique, quelles sont les perspectives d’un groupe comme Dell Technologies ?
Le marché est en train de se transformer. Une grande partie des opérations informatiques sont transférées des clients privés vers les prestataires de cloud. Les entreprises externalisent l’ensemble de leur infrastructure dans le cloud ou utilisent des applications logicielles pour gérer leurs clients. Dans ce contexte-là, le nouveau Dell se voit comme l’équipementier de choix des clients d’entreprise et des opérateurs de cloud, tant au niveau hardware que software. Nous sommes parfaitement positionnés pour nous imposer sur les segments à fort potentiel de croissance du marché du numérique.
Sommes-nous réellement en train de vivre une révolution numérique ?
Absolument ! La révolution que nous vivons actuellement ne connaît pas de limites. Depuis l’invention des premiers transistors (composants fondamentaux des appareils électroniques et des circuits logiques, ndlr), il y a près de 60 ans, la puissance de calcul des ordinateurs a doublé tous les 18 mois environ. C’est la fameuse loi de Moore, énoncée pour la première fois en 1965 par Gordon Moore, un des co-fondateurs d’Intel. Mettons-la en perspective avec ce que certains appellent la « deuxième moitié de l’échiquier ». Selon une fable orientale, en effet, l’inventeur du jeu d’échecs demanda au Sultan, qu’il avait réussi à divertir, la récompense suivante: un grain de riz sur la première case de l’échiquier, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième et ainsi de suite. Dans la deuxième moitié de l’échiquier, les chiffres deviennent complètement astronomiques. En 2008, je prétends que nous sommes entrés dans cette deuxième moitié de l’échiquier. La loi de Moore est toujours respectée, mais la courbe devient exponentielle.
Si la loi de Moore reste valable, la révolution n’est donc pas technologique…
La révolution vient des possibilités offertes par cette puissance, cette capacité de stockage disponible. L’avènement successif des smartphones, des réseaux sociaux, du big data et du cloud a complètement modifié les usages et les modes de consommation.
Quelles sont les tendances actuelles ?
L’Internet des objets connaît un essor fulgurant. De la turbine de Boeing 747 à la veste de ski, plus de 200 milliards d’objets devraient être connectés à l’horizon 2030. L’industrie et l’économie toute entière sont bien sûr concernées par cette mise en réseau. L’économie du partage dispose encore d’un grand potentiel. Nous paierons de plus en plus pour des services, plutôt que des objets. La personnalisation des offres atteindra des niveaux très élevés. Certains modèles d’affaire vont disparaître. Prenons la voiture, par exemple, dont le taux d’utilisation moyen ne dépasse pas les 2 %. Les 2 milliards de dollars que pèse cette industrie sont absolument sous-utilisés ! A terme, seules circuleront des voitures sans pilote, qu’il faudra louer à une compagnie comme Uber selon des conditions à définir.
Un mot sur l’intelligence artificielle ?
Depuis peu, elle est sur toutes les lèvres ! Il faut savoir que les langages d’intelligence artificielle existaient déjà dans les années 1970, mais la puissance disponible ne permettait pas de les exploiter. Aujourd’hui, les progrès sont tels qu’ils menacent certains jobs à haute valeur ajoutée, comme les juristes ou les médecins. On touche à des domaines jusque-là réservés à l’intelligence humaine.
Faut-il s’attendre à des pertes massives d’emplois ?
Je n’ai pas vraiment de réponse. Des changements s’annoncent. Certains types d’emplois disparaîtront, tandis que d’autres seront créés. Grâce au développement de l’impression 3D, la numérisation est aussi porteuse d’une belle promesse : celle d’une relocalisation de la production industrielle dans les pays occidentaux.
En tant que championne de l’innovation, la Suisse a-t-elle plus à gagner ou à perdre de la numérisation ?
Elle a certainement plus à y gagner que les autres. Notre marché du travail, flexible et performant, représente une énorme garantie. Nous bénéficions aussi d’un système de formation unique au monde, capable de s’adapter aux nouvelles réalités de l’économie. Toutes les conditions sont réunies, en Suisse et dans le canton de Fribourg, pour réussir cette transformation numérique.